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Forêts Vivantes, au creux du cycle

Dernière mise à jour : 10 nov.


Un lieu où la mémoire se sème et la nature se transmet.


Vous empruntez une allée empierrée. Quelques mètres plus loin, quelques places de parking, presque discrètes entre les arbres. À peine descendue de ma voiture, c’est le calme de l’endroit, la lumière filtrant à travers les branches, la rousseur des feuilles qui tapissent le sol, et cette bonne odeur de feu de bois qui m’ont accueillie.     

Boris Moureau, le gardien des lieux, m’a rejointe, précédé d’une boule de poils à quatre pattes, aussi pétillante que jolie, sa robe couleur automne en harmonie avec le mordoré des feuilles.

Un petit chemin moelleux, bordé de branches de bouleau, nous mène jusqu’à une clairière.

Des bancs en cercle, un brasero suspendu, un feu qui diffuse sa chaleur et un doux parfum de bois brûlé. On s’y sent tout de suite bien, enveloppé par la lumière qui pénètre entre les jeunes arbres.

Une sensation d’apaisement.


Il y a cette clairière dédiée aux cérémonies funéraires, celles des humains. Un peu plus loin, une autre pour celles des animaux de compagnie. Chacune entourée d’arbres.

Une parcelle pour la dispersion des cendres humaines, une autre pour celles des animaux, et entre les deux, une parcelle pour la dispersion conjointe des cendres d’un humain et de son compagnon animal.


Depuis septembre 2024, un décret wallon reconnaît officiellement ce que tant de cœurs ressentaient déjà : le lien indéfectible entre un être humain et son compagnon animal peut désormais se prolonger

au-delà de la vie. Il est désormais possible, sous certaines conditions, d’être inhumé aux côtés de celui ou celle qui a partagé nos jours, nos silences, nos joies et nos peines.

Ce geste, profondément intime, doit être souhaité de son vivant. Il est possible de demander que les cendres de son animal soient mêlées aux siennes, dispersées ensemble, dans un même souffle, au pied d’un arbre, dans une clairière, là où la nature veille. Cette dispersion doit être simultanée, comme une dernière promenade côte à côte, pour éviter que l’un parte sans l’autre, même dans le geste.


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Ces bois sont dans la famille de Boris depuis deux cents ans.

C’est son arrière-arrière-grand-père qui les a acquis. Boris avait envie d’en profiter, de travailler dans cette forêt sans attendre la retraite, de se recentrer sur ce qu’il aime. Et ce qu’il aime, c’est cette forêt.


L’idée du projet est née d’un constat : bien que sa mère repose dans un cimetière de la région, qu’il traverse régulièrement, il ne s’y sentait pas accueilli. Cela ne faisait pas sens pour lui. Il s’est alors demandé ce qu’il souhaiterait pour lui-même. Il aimerait que ses cendres soient dispersées dans ce bois, et que l’on plante des arbres à sa mémoire.

C’est ainsi que Forêts Vivantes est né.


On peut y choisir un arbre dédié pour y disperser les cendres d’un être cher. Un arbre de mémoire. Recouvrir les cendres de ces magnifiques feuilles de hêtres qui tapissent le sol toute l’année.

Pratiquer un rituel qui fait sens pour soi, dans un profond respect de la nature.

Quand la saison le permet, on peut aussi planter des bulbes au pied de l’arbre.

Uniquement des bulbes indigènes et forestiers : jacinthes des bois, muguet, ail des ours, jonquilles, renoncules… Ils auront tout le temps de fleurir avant que les hêtres ne refassent leurs feuilles.

Il est essentiel que cette forêt reste avant tout une forêt. Un espace pour les animaux des bois aussi. D’ailleurs, à quelques mètres d’une clairière, un blaireau a installé sa tanière. Il semble même que ce soit une ancienne tanière familiale, aujourd’hui occupée par l’un des membres de la fratrie devenu grand.


Une petite plaque commémorative, discrète, est liée autour de l’arbre. Le nom du défunt ou de la défunte, un QR code si on le souhaite. Il suffit de le flasher pour découvrir des photos, peut-être une vidéo de celle ou celui déposé ici, au pied de son arbre mémoire. En haut de quelques arbres, des nichoirs suspendus, souhaités par les familles. Symboles de vie, d’envol… qui sait ?


Nous nous dirigeons vers l’un ou l’autre arbre. Les feuilles crissent sous nos pas, une histoire se raconte. Celle d’un ami de Boris, le premier honoré par cette forêt. Celle d’un enfant des étoiles. Celle d’un couple dont l’une des urnes est restée longtemps dans une armoire, aujourd’hui, les cendres du père et de la mère sont réunies au pied d’un bouleau à deux troncs, comme ceux qu’ils avaient dans leur jardin.

Il y a aussi ces arbres qui symbolisent la vie d’une personne, le lien que l’on garde avec elle, même si ses cendres n’y sont pas. Comme l’arbre de mon ami. Je dépose trois noix sur sa plaquette, offrande aux écureuils. Il apprécierait de les voir jouer dans ses branches.


Tout ici est tourné vers la vie. D’ailleurs, chaque année, on plante des arbres en mémoire des personnes disparues dans tout le domaine forestier.


Boris me propose de poursuivre la balade sur les sentiers fléchés, ceux que les familles et les amis empruntent après la cérémonie. Beaucoup reviennent, parfois de loin, pour rendre visite à leurs défunts, leurs défuntes, pour simplement marcher dans le domaine. C’est un moment précieux, réconfortant,

où l’on s’accorde une pause avec cette nature apaisante, avec l’indicible peut-être.

La sophrologue que je suis ne peut que vous invitez à cette marche douce, presque méditative.


Ce moment se vit comme une parenthèse entre amis, en famille, que l’on peut prolonger par une escapade gourmande et curieuse dans les environs. Nous sommes tout proches du village de Redu,

ce havre de pages et de silence, connu comme le village du livre.

D'ailleurs pour clore cette journée empreinte de nature et de mémoire, je me laisserai porter par les mots, bercée par les voix, lors d’une veillée contée au pied du château de Bouillon. J’irai écouter mes amis Véronique de Miomandre et Christian Pierron, au Festival Brin d’causette, dans leur création Fils de Bitche… Une histoire de racines, de celles qui nous relient, qui nous soutiennent. On s’y adosse comme à un arbre familier, celui de leur lignée, de la nôtre aussi. Un moment suspendu, à la croisée des récits et des chants partagés, là où les mémoires se tissent et les cœurs s’accordent.


Mais pour l’heure, poursuivons notre promenade dans le domaine, guidés par Boris, qui partage avec moi ses réflexions. Ici, chaque arbre est choisi avec soin, dans l’idée de résister aux bouleversements du climat tout en enrichissant l’environnement.

Des pins de Corse, des châtaigniers… des essences robustes, pensées pour demain.

Les contraintes sont nombreuses : gelées précoces et tardives, abondance de gibier, sol acide, sécheresses prolongées. Il faut chercher les essences les mieux adaptées, parfois ailleurs, tout en veillant à préserver celles qui appartiennent à cette terre, car elle est vivante, elle a sa mémoire, ses équilibres.

Rien n’est laissé au hasard, tout est pensé pour que la forêt continue de respirer, de grandir, de transmettre. La sylviculture évolue.

On ne fait plus comme les anciens, des coupes à blanc. On conserve un toit de feuillage pour protéger

la terre, pour éviter que les rayons du soleil ne la dessèchent. On parle ici de “sylviculture à couvert continu”: tout est dit, l’objectif est de garder l’humidité du sol, de préserver l’équilibre.


Au-delà de ce patrimoine familial, Boris a toujours eu un lien profond avec les arbres, la forêt, la nature. Ce projet de Forêts Vivantes fait sens pour lui. Il a travaillé dans la sensibilisation à la biodiversité, notamment avec les abeilles. Il s’est formé à l’élagage, aux soins des arbres avec son frère.

Il n’a rien eu à faire pour recevoir cette forêt, mais il a choisi d’en faire un bijou, de la transformer en forêt mélangée, riche d’une biodiversité foisonnante. 


Avec Forêts Vivantes, Boris nous invite à entrer dans le cycle de la vie. Il nous fait prendre conscience des symbioses invisibles qui se jouent autour de nous. Il marche aux côtés des familles lors de leur première visite, quand le souhait de disperser les cendres d’un être cher commence à prendre forme. 

Il partage son engagement, son amour pour la nature. Et ces mêmes personnes, lorsqu’elles reviennent, seules ou entourées, racontent à leur tour l’histoire de ces bois.

L’histoire de la faune, de la flore, de la responsabilité que nous avons de préserver ce lieu.

Il y a là une transmission, une responsabilisation, envers Forêts Vivantes… et, on l’espère, bien au-delà.

Les familles viennent, les amis aussi, portés par le désir d’honorer la mémoire de leurs défunts. Chacun veille à préserver le caractère sacré de la nature. Tous sont sensibilisés à la pérennité de cet espace.


Aujourd’hui, avec la crémation, les morts reposent de plus en plus hors des cimetières.

Forêts Vivantes offrent un lieu de mémoire, un lieu de lien pour les familles et les proches.

Un espace intime, enveloppant. Mais c’est aussi une propriété privée.

Que deviendra-t-elle, le jour où Boris ne sera plus? Il est essentiel de penser à la suite.

C’est pourquoi, devant notaire, il a été acté que toute personne ayant dispersé les cendres d’un être cher dans cette forêt conserve un droit de visite, un droit de recueillement sur ces terres.


La loi permet de disperser les cendres sur une propriété privée, à condition que le propriétaire donne son accord. Forêts Vivantes entrent dans ce cadre. Boris, en tant que gardien de ce lieu, s’engage à maintenir ce droit de visite pour les familles. D’autant plus que, lorsque les cendres sont dispersées ici, le défunt est considéré comme domicilié dans la commune de Paliseul, sur les terres mêmes de Forêts Vivantes.


Cette forêt transmise de génération en génération, autrefois exploitée pour son bois est aujourd’hui préservée pour sa vie. Avec sa génération, une conscience nouvelle s’est éveillée : celle de la responsabilité envers la biodiversité, celle de la pérennité. C’est ainsi que 2 500 arbres ont été plantés en quelques jours, avec toute la famille de Boris, tous leurs enfants. Un moment joyeux, porteur de sens, pour éveiller les plus jeunes à l’importance de cet écosystème.

Lors de la préparation de la parcelle dédiée aux futures dispersions, des hêtres ont été abattus, puis débardés à l’aide de chevaux pour éviter le tassement des sols avec des engins lourds. Les souvenirs sont là, gravés dans les cœurs des enfants.

L’essentiel, c’est de transmettre : transmettre une passion, un bien familial, une conscience de la valeur sylvicole et affective de cette forêt.


Boris souhaite lui-même reposer au pied d’un arbre de Forêts Vivantes, avec sa compagne et leur fidèle boule de poils.

Une boule de poils pétillante qui vient tout juste de se baigner dans la mare à sanglier...


À propos de sangliers, une question me brûle les lèvres. Nous sommes en région ardennaise, où la chasse fait partie de l’histoire. Comment se passe la cohabitation avec les chasseurs ?

En d’autres termes, comment éviter que les morts fassent des petits, pour reprendre les mots de Brassens. Le gibier est abondant, ici et dans les forêts voisines, propriétés de la commune de Paliseul, louées pour la chasse. La nourriture y est généreuse, et plus les hivers sont doux, plus les sangliers se reproduisent. Une vidéo, d’ailleurs, montre une horde de sangliers presque en file indienne, sur les réseaux de Forêts Vivantes.


Ils mulotent les chemins, fouillent les champs à la recherche de vers de terre bien dodus, déterrent les jeunes pousses fraîchement plantées, tandis que les cervidés en savourent les bourgeons.

Pour éviter tout risque, quelques jours par an, Forêts Vivantes ferment ses portes.

Ces jours sont annoncés sur Google, sur la page d’accueil du site, par mail aux personnes concernées,

et un panneau à l’entrée en interdit l’accès. C’est une réalité à laquelle il faut s’adapter.

Nous ne sommes pas dans un cimetière urbain, mais en plein cœur de la nature forestière, avec ses traditions ancestrales et sans prédateur sinon les hommes eux-mêmes.


La faune est déjà riche. Il s’agit désormais d’enrichir la flore, pour que les forêts résineuses ardennaises restent des forêts vivantes. Replanter des arbres, notamment en mémoire des défunts, est aussi une manière de compenser l’empreinte carbone d’une crémation. On estime à environ 233 kg le carbone rejeté dans l’atmosphère lors d’une crémation. Soyons clairs : il ne s’agit pas de greenwashing, pour compenser cette empreinte, il faut planter dix arbres, les laisser grandir, atteindre leur maturité, alors seulement, ils pourront capturer 250 kg de carbone.


C’est dire l’importance de projets comme celui de Forêts Vivantes.

Pour contribuer au Vivant. Pour honorer la mémoire. Pour transmettre cette terre à nos enfants.


Anne Meesters

Sophrologue et Thanadoula, co-fondatrice de l'asbl Doulas de fin de vie

 

 

 
 
 

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